Reconversion

Thierry Geerts (ex-Google) ou l’art de quitter son entreprise au bon moment

Après 12 ans et demi à la tête de Google Belgique, un rôle plus qu’envié, Thierry Geerts a décidé de démissionner de son poste, un changement effectif le 1er avril dernier. Cela ne l’empêchera pas de continuer à s’intéresser à l’innovation digitale, un domaine qu’il entend suivre chez BECI, la chambre de commerce bruxelloise, dont il vient de prendre les commandes. On lui a demandé ses motivations, ce qu’il a appris au cours de cette carrière et ce qu’il conseillerait aux autres dirigeants à l’aube d’un changement de cap.
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Vous avez récemment quitté la tête de Google Belgique…

Depuis que j’ai fêté mes 10 ans chez Google, je commençais à réfléchir à autre chose. C’était le bon timing pour moi, mais on était alors en pleine crise du coronavirus. Ce n’est pas le moment où un capitaine quitte le navire. Quand tout s’est stabilisé l’été passé, je me suis dit que j’allais le faire. J’ai travaillé 50 ans chez Google, car chaque trimestre est comme une année. C’était passionnant et intense. Mais il faut savoir partir quand ça va bien et laisser la place aux autres. Sinon, on risque d’être celui qui bloque un peu les évolutions de tout le monde. Je vais avoir 58 ans et si je veux encore faire d’autres activités avant de terminer ma carrière. C’est maintenant. Je dis à tout le monde qu’il faut savoir se réinventer. Et c’est bien de le faire avant d’avoir 60 ans.

Comment avez-vous pris cette décision ?

Quitter une telle entreprise demande du courage. Ce n’était pas une décision facile à prendre car c’est une société fantastique. Et quand cette décision est prise, on devient ce qu’on appelle chez Google « uncomfortably excited », c’est-à-dire qu’on est dans une position un peu inconfortable mais excitante. On peut voir de nouveaux horizons, de nouvelles choses. On a d’autres discussions aussi, puisqu’en n’ayant plus la casquette de Google, on peut être plus autonome. Je ne peux que conseiller à tout le monde de réfléchir à ce qui le retient dans une fonction, si prestigieuse soit-elle.

À son arrivée chez Google, le géant de la tech’ ne comptait que 12 collaborateurs en Belgique.
À son arrivée chez Google, le géant de la tech’ ne comptait que 12 collaborateurs en Belgique. - Shutterstock

Quel est votre bilan de ces années « Google » ?

C’est un peu délicat de se donner des bons points, mais il y a quelques réalisations dont je suis fier : Google est devenu une entreprise respectable et a été responsable dans des moments délicats. On a notamment participé au plan digital de la Wallonie dans lequel on a formé 160.000 personnes, hors Google, à la digitalisation. On a également ouvert un atelier digital à Bruxelles pour former les chefs d’entreprise et collaborateurs de PME à la digitalisation. Personnellement, je pars avec un bilan très positif après 12 ans. Mais il faudrait demander à quelqu’un d’autre dans l’entreprise si on a été content de moi.

Il y a des choses que vous auriez aimé faire différemment ?

Je regrette que la Belgique ait raté le tournant de l’e-commerce. J’en ai fait le constat quand j’ai commencé chez Google : la Belgique est largement en dessous des Pays-Bas dans ce domaine. Et je me suis dit : je vais avoir un boulot facile, car nous ne sommes pas idiots. Le pays devrait pouvoir avoir une belle croissance et rattraper son voisin. Mais je me suis un peu trompé, car si on a été en croissance pendant des années, ils ont connu une hausse une plus importante que nous. Et le constat aujourd’hui, c’est que quand les Belges achètent en ligne, 70 % du business vient de l’étranger. Et ça, je regrette de ne pas avoir pu convaincre, ni les entrepreneurs ni les autorités d’investir dans ce domaine. On a un peu raté cela, mais je pense qu’on ne va pas rater la transition vers l’intelligence artificielle. Cela concerne toutes les entreprises, car l’IA peut les rendre plus performantes et efficaces. Et le vrai risque, c’est qu’un concurrent développe l’IA plus vite que vous.

Qu’avez-vous le plus appris aux commandes de Google ?

Ce que j’ai appris, ce sont l’importance des valeurs sociétales, l’impact des activités de l’entreprise sur la démocratie. J’ai également mieux compris l’importance de la diversité et comment développer une société diversifiée. Google a investi énormément dans ce domaine et a formé ces managers à cette question. Et il y a 12 ans déjà, pas aujourd’hui comme beaucoup d’autres. J’ai aussi appris comment développer un business durable vu que depuis 2017, les centres de datas de Google tournent à l’énergie verte. Tout cela n’est réalisable que si vous avez une vraie culture d’entreprise totalement focalisée là-dessus. Et enfin, j’ai appris énormément de choses quant à la transition digitale et l’intelligence artificielle.

Quand on a été à la tête d’une grande entreprise, si renommée, comment peut-on envisager la suite ? Vous n’avez pas peur de ne plus avoir de challenges de la même ampleur ?

Non, pas du tout. Les vrais défis, ce sont ceux d’un patron de PME qui ne sait pas payer ou qui a peur de ne pas pouvoir payer ses employés. Chez Google, ce sont des challenges de taille à gérer, mais tout le monde allait être payé à la fin du mois, sans aucun doute. Il y a des gens qui adorent travailler pour des grandes structures, mais ce n’est pas ce qui m’a le plus amusé. J’ai adoré développer l’entreprise. Nous n’étions que 12 au départ. J’ai également été intéressé par l’impact sociétal dans toutes les activités du groupe. Il y a une vraie réflexion chez Google sur l’impact des produits sur les utilisateurs. De nombreuses recherches sont faites, cela a donné une responsabilité importante à l’entreprise. Et j’ai trouvé cela passionnant. Malgré sa taille et sa cotation en Bourse, Google a su mettre l’accent sur cela. Sans oublier son côté altruiste avec ses outils et formations dispensées gratuitement. Cette façon de réfléchir est exceptionnelle et très inspirante.

Que diriez-vous à d’autres dirigeants de grandes entreprises qui n’osent peut-être pas quitter leur poste ?

Il y a toujours une vie après avoir été dans une grande boîte. Il faut éviter d’être dans une cage dorée. Cela s’applique d’ailleurs à tout le monde. Il faut pouvoir quitter une entreprise au bon moment même si on y reste pour des raisons diverses : salaires, structure, attachement à la marque… Et c’est au moment où on en sort qu’on se rend compte que cela donne beaucoup d’oxygène et de possibilité. Moi j’ai réinventé ma carrière quatre fois au total, c’est la 4e fois. J’ai commencé chez PwC et si je n’avais pas quitté cet emploi, je ne serais pas arrivé chez Google. Quand j’ai quitté ce job pour travailler chez Euroblan, un blanchisseur industriel, mes parents me prenaient pour un dingue et mes amis étaient morts de rire. Ici aussi, on me dit « oui, mais c’est travailler chez Google quand même ! ». Et alors ?

Vous quittez complètement Google ?

Oui, on est dedans ou en dehors. Je n’ai pas de mission de conseil ou d’administrateur. Je ne trouve pas cela sain non plus, je ne veux pas être la belle-mère de mon successeur. Il y a déjà eu quelques cas comme cela par le passé où on a beau dire « oui mais je vais aider mon successeur »… Non, à un moment, il faut surtout qu’on le laisse tranquille et qu’il trouve sa place.

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